Les pétrels papillons

Il ne s'agit pas leur nom scientifique, mais les pétrels m'ont fait penser à des papillons dès que je les ai vus voler à fleur d'eau. Les oiseaux semblent marcher sur l'eau, sautillant d'une patte sur l'autre tout en voletant. Leur vol délicat et léger les rend fragiles. J'ai alors pensé aux vols de papillons venus se désaltérer sur une flaque d'eau comme parfois en Provence pendant les étés secs. Ici aussi c'est l'été, mais la glace est partout. Et ces pétrels glissent à fleur d'eau en dessinant sur l'onde des courbes élégantes avec leurs longues pattes. Le spectacle est aussi inattendu que merveilleux.

Ces mystérieux oiseaux très peu photographiés. Ils vivent dans des zones extrêmes se regroupent autour d'étroits espaces sans glace. Dans ce monde recouvert par la glace à perte de vue, l'eau libre est une valeur rare. Du krill doit se concentrer et affleurer dans ce puits de lumière fait par la glace en s'ouvrant.

Dans la grande famille des pétrels, ceux que j'observe ce matin-là avec une curiosité amusée, presque enfantine, sont des pétrels de Wilson. Ils doivent avoir une quarantaine de centimètres d'envergure et semblent petits au vu de la taille des autres oiseaux. Autour du trou, de nombreux volatiles attendent : les incontournables skuas évoluent majestueusement ; des goélands toujours aussi bruyants volent en cercle ; deux manchots semblent attendre patiemment debout sur leur glaçon. Tous sont là pour le krill qui constitue la base de leur alimentation.

Sous la banquise se trouvent des algues microscopiques qui développent dans le mélange d'eau douce et d'eau salée que créer la glace en fondant doucement. Sans la banquise et son eau douce, ce phytoplancton n'existerait pas dans de telles proportions. Le Krill antarctique que l'on nomme savamment « Euphosia superba » se nourrit en filtrant ce phytoplancton. C'est une sorte de petite crevette de 6 à 7 cm de long pigmentée de points rouges et pouvant vivre plusieurs années. Son corps est presque transparent et ses six paires de pattes lui permettent de se maintenir en surface. Sans, le krill coulerait à pic malgré un poids de seulement quelques grammes.
Le krill antarctique vit en banc de plusieurs millions de tonnes s'étendant parfois sur des centaines de kilomètres. J'ai pu observer dans notre descente vers le sud, quand nous suivions les baleines, des bancs parfois si denses qu'il en changeait la couleur de l'eau, donnant à la mer par endroits des intonations rose sombre.
Le krill constitue la base alimentaire des grands animaux vivant dans ces eaux froides. Des baleines géantes aux plus petits oiseaux en passant par le terrible phoque léopard ou les calamars, sans oublier les poissons : tous se nourrissent directement ou indirectement de cette manne qui se développe sous la banquise. Tous sont donc directement dépendants du phytoplancton qui se développe sous la glace. Sans banquise, une grande partie de la vie disparaîtra donc ici...

Heureusement, les pétrels papillons me distraient de ces tristes considérations. J'aime photographier la faune ainsi, lorsque le côté poétique de l'animal m'attire. Or ce volatile est ici complètement féerique.