De Decepcion à port Lockroy

A Decepcion, nous sommes encore loin de la péninsule antarctique. Loin de la banquise et du bout du voyage. Ce que nous avons vu déjà nous enchante, mais ce n'est qu'un commencement.

Notre prochaine étape, qui nous emmène plusieurs jours vers le Sud, va donc nous rapprocher du continent. L'objectif est maintenant d'atteindre Port Lockroy, une minuscule base anglaise sur « Goudier Island ». On savait que le chemin était libre et que l'on pouvait y aller. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l'Angleterre y établit une base secrète pour écouter les communications des bateaux allemands franchissant le Drake. Aujourd'hui, plus pacifiquement, elle est habitée l'été par des scientifiques et par des manchots papous ou des cormorans huppés. Là-bas, nous verrons si la météo et la glace nous permettront d'aller plus loin. Car ici, seules la banquise et la météo qui décident des voyages.

Sur la table à cartes, les étapes se dessinent maintenant en fonction des informations météorologiques de Valparaiso et des nouvelles prises auprès des autres skippers sur la zone. Il faut de toute façon naviguer de jour pour garder un maximum de visibilité et privilégier la sécurité en ne s'éloignant pas trop des îles qui offrent sous leur couvert une bonne protection en cas de soudaine tempête. Comme dans le Drake si proche, le temps ici est sujet à de violentes et soudaines modifications.
La nuit, nous amarrons le bateau dans de petites anses protégées du vent et nous le lamanons solidement. L'exercice se révèle souvent périlleux car les berges sont recouvertes de glace et de pierres instables qui peuvent dévaler à tout moment. Martin se souviendra longtemps de son bain forcé dans les eaux glacées de l'Antarctique. Heureusement son plongeon n'a eu aucune conséquence, mais dans la chute des roches qu'il a évitées en plongeant, il aurait pu se faire très mal. Dans la chaleur du carré, nous avons tous plaisanté de l'incident autour d'un bon repas, comme sait chaque jour les inventer Bernadette. La qualité de ce moment est important quand on est si loin et qu'il faut maintenir le moral de l'équipage au beau fixe. Difficile ici d'aller boire un verre en ville pour se changer les idées.

Jour après jour, je découvre la parfaite adaptation de notre voilier à ces contrées australes. Le petit poêle à mazout diffuse une chaleur apaisante dans le carré où il fait bon venir se relaxer. J'ai juste dû m'adapter pour qu'en rentrant dans l'habitacle mon matériel ne subisse pas trop les effets de la condensation. Au milieu du bateau, à côté du moteur, Pascal a aménagé un atelier pour parer à toute éventualité. Contre la coque d'acier, la nourriture est entreposée sous nos pieds, profitant ainsi de la réfrigération naturelle des eaux glaciales. Dès que le nez l'exige, Bernadette met en route le chauffe-eau pour que nous puissions prendre une douche dans une cabine prévue à cet effet. Quel luxe !

Malgré le doux mouvement du bateau qui me berce, le sommeil est souvent long à venir car ici les jours n'en finissent plus de s'étirer en lumières magnifiques, repoussant un peu plus les limites de la nuit. D'ailleurs, peut-on appeler cela la nuit, tant elle est timide ? Au mieux est-ce une pénombre d'une heure car le soleil d'été semble ne pas vouloir quitter ces rivages. Il a en fait bien raison, le bougre, de ne pas délaisser son travail estival de sculpteur de glace. A nous de trouver le bon rythme pour ne pas dormir debout en admirant le style de ses créations dans le bleu turquoise de la glace.