
Ushuaia
Ushuaia est un minuscule point sur le globe, aux confins de l'Amérique du Sud, à la frontière argentine de la Patagonie, si près de la fin du monde des humains. « Ushuaia fin del Mundo » indique d'ailleurs le panneau en bois à côté de la capitainerie du port.
Le nom, d'origine Yamana, signifie « la baie qui pénètre à l'ouest ». C'est la ville la plus australe du globe, à 800 km de l'extrême pointe de la péninsule antarctique. Elle est le chef-lieu de la province de la Terre de Feu. La partie orientale de l'île appartient à l'Argentine ; la région ouest dépend du Chili.
La ville est bâtie dans un cadre magnifique, une anse entourée de sommets enneigés au bord du grand canal de Beagle qui relie l'Atlantique au Pacifique. De nombreux bateaux de pêche, des paquebots de croisière et des expéditions y arrivent pour faire halte avant de repartir.
« Fin del mundo », le message est devenu une marque qui estampille les vitrines des boutiques de la rue principale, des chapeaux de gauchos aux cartes postales de manchots. Les grandes marques de la world-company de la glisse et de l'outdoor sont toutes là. Elles se superposent aux marques locales, à peine plus exotiques, pour nous signifier que nous sommes encore en pays civilisé. Heureusement, les visages d'enfants métissés de sang indien ne me trompent pas : nous sommes très loin de l'Occident.
Etrange destin que celui de cette ville de 15 000 habitants qui a grandi trop vite en baraques de tôles et de bois, propulsée destination d'aventure à la mode en quelques décennies. Au centre, un petit musée rappelle qu'il y a encore peu, les forçats argentins venaient ici expier leur peine en cassant des cailloux, à 3 000 km des Buenos Aires la capitale, bien loin de sa douceur de vivre et des chaleurs du tango. L'ancien bagne argentin s'est métamorphosé en une station de ski au bord de l'eau, active été comme hiver. Une grosse bourgade pour touristes cherchant à humer l'exotisme austral.
Avec de tels atouts, Ushuaia est devenue l'inévitable point de départ vers des destinations ou passages mythiques : le Cap Horn, les glaciers bleus de Patagonie, la Cordillère des Andes, la Patagonie du Sud et, bien sûr, l'Antarctique. Tant de noms font rêver autour d'un même lieu.
A l'opposé du port où accostent les brise-glace russes reconvertis en bateaux charters pour « faire » le continent blanc, se trouve la petite marina dont l'unique ponton a vu accoster tous les plus grands marins de la planète pendant leurs tours du monde : Moe Tessier, Tabarly, puis la génération de passionnés autodidactes. C'est là aussi que fait halte la singulière communauté des guides maritimes venant chercher leurs passagers. Singulière alliance d'humains et de navires : le patronyme attribué par l'état civil aux premiers est vite remplacé par le nom des seconds. Souvent construits de la main même de ces marins, qui les connaissent mieux que personne et savent donc les réparer en cas d'avarie, à la fois maison et moyen de subsistance, notre « Walhalla » est de ceux-là : un solide deux-mâts jaune et gris avec une coque acier, toisant vingt-quatre mètres.
L'accueil à bord est chaleureux. Je me retrouve avec un groupe d'amis, tous voyageurs, marins chevronnés, compagnons de route depuis plusieurs années et d'autres personnes très sympathiques. Dès le premier contact, Bernadette a le sourire jovial. Plus réservé, son mari, Pascal le capitaine, nous toise du regard, un plissement malicieux au coin de l'oeil. Gaston, leur fils de quatre ans, court sur le pont en riant et en essayant de sortir Martin, notre marin argentin, de ses préparatifs. En tout, nous sommes onze avec Gaston. Huit hommes, deux femmes et un moussaillon habités par le même défi : pousser les portes de l'Antarctique.
C'est au bout de ce ponton de planches qui grincent, quand les pieds rejoignent le pont du voilier, que commence notre voyage vers le bout du monde. Après 30 heures d'avion via Madrid et Buenos Aires et enfin Ushuaia, soit deux jours de périple, nous sommes tous impatients de partir, d'apprendre à vivre sur ce bateau qui devient notre maison pour un mois au moins. Entendre enfin le vent souffler dans les voiles nous tarde !