Les phoques

La plupart des découvertes du continent antarctique reviennent aux chasseurs de phoques. A la fin du XVIIIe siècle, seules quelques îles subantarctiques ont été découvertes dans les mers australes. Durant les deux siècles suivants, les explorateurs polaires vont y écrire quelques grandes histoires de l'aventure humaine. Mais si ces « prédateurs humains » se servaient de leur peau et de leur fourrure pour se vêtir et se protéger du froid, ils mangeaient surtout leur viande et utilisaient leur graisse comme combustible. Rien à voir, donc, avec les cruels excès du XXe siècle, motivés par le diktat de la mode et du profit... Heureusement, de nombreuses associations ont permis une prise de conscience publique et politique pour imposer des quotas et protéger ainsi l'espèce qui menaçait de s'éteindre.

Avec les manchots et les baleines, les phoques sont les ambassadeurs du paradis blanc. Symboles de pureté et de pacifisme, leur apparence débonnaire suscite d'emblée la sympathie et peu importe si celle-ci est souvent emprunte d'anthropomorphisme. Il me tarde donc d'en photographier. Pourtant, réaliser de beaux clichés de ces mammifères relève de la gageure : nageurs émérites, on ne les voit pas dans l'eau. Quand ils sont en surface, seules leurs narines sont visibles. Je choisis donc de les approcher quand, repus, ils sont étendus sur un rocher ou sur la banquise.


Approcher un phoque n'est pas dur : on laisse le bateau glisser, on coupe le moteur, le bateau va tanquer contre le glaçon, et on peut s'approcher sans problème. Hors de l'eau, ce mammifère se montre assez apathique : en phase de récupération, il ne bouge pas. Je prends néanmoins le temps de m'approcher progressivement, afin de l'habituer à ma présence. Au bout de plusieurs heures, je peux même lui gratter le ventre sans aucun danger. J'expérimente alors ce que disais le commandant Cousteau : l'animal, lorsqu'il ne connaît pas l'homme et le danger qu'il peut représenter, n'en a pas peur. Je mitraille donc à très grande proximité, avec un 18-50 mm comme pour un portrait d'humain. Le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas de la photographie dynamique ! Cela en devient presque frustrant car le photographe sent bien qu'il passe à côté des vrais moments de vie de l'animal.

Un jour gris au milieu de la baie de Charcot, un phoque léopard est là qui attend sagement son heure, allongé sur un glaçon. Ce phoque à tête de serpent se distingue de tous les autres. Sa robe tachetée lui a valu le patronyme de phoque léopard parce que, comme lui, c'est un grand prédateur. Son régime alimentaire varie selon les saisons, du krill aux manchots en passant par tout ce qui se mange et qui passe à sa portée. Il est muni de longs crocs triangulaires et d'une redoutable mâchoire qui s'ouvre considérablement. Parmi les trois douzaines de pinnipèdes, il est le seul à faire entrer dans son régime alimentaire des mammifères (jeunes phoques) et des oiseaux. Sur son glaçon, il est gauche et pas vraiment à l'aise. Difficile d'imaginer que dans l'eau ce chasseur à l'affût se transforme en l'un des plus redoutables chasseurs de l'Antarctique après l'orque.
Il faut rester prudent, car l'animal vient voir tout ce qu'il ne connaît pas, alors gare s'il lui prend envie de goûter aux boudins du zodiac. Chaque soir, Pascal nous fait remonter l'annexe. Il se souvient en effet d'une mésaventure qui lui est arrivée quelques années auparavant : un matin, il a retrouvé son embarcation mise en pièces par un phoque trop curieux.

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